Ecole Normale Supérieure, Paris,
du 13 au 24 août 2007

"Trous noirs, anneaux noirs et formes modulaires"

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Pour la 37ème année consécutive, le laboratoire de physique théorique de l'Ecole Normale Supérieure, en collaboration avec quatre autres laboratoires de la région parisienne ( LPTHE , SPhT , CPHT , CdF), accueille une soixantaine de physiciens théoriciens de réputation internationale pour deux semaines d'échanges scientifiques intenses. Cette année, les trous noirs sont à l'honneur, et des mathématiciens de renom viennent prêter main forte aux physiciens pour percer leurs secrets.

Si les observations astronomiques récentes confirment sans aucun doute l'existence des trous noirs conjecturés par Einstein en 1916, ces objets continuent de semer le trouble chez les physiciens théoriciens, en raison de leur propriétés qui semblent mêler physique classique et quantique. En tant que solutions classiques de la théorie de la relativité générale, les trous noirs possèdent des propriétés thermodynamiques telles que énergie, température et entropie, cette dernière étant égale, par la formule dite de Bekenstein-Hawking, au quart de l'aire de l'horizon (une surface fictive entourant le trou noir, de laquelle aucune particule ne peut s'échapper), mesurée en multiples de la distance de Planck (une combinaison des constantes fondamentales de la physique, dont la fameuse constante de Planck, caractéristique des effets quantiques). Selon les principes de la physique statistique de Boltzmann, cette entropie implique l'existence d'un nombre exponentiellement grand (astronomique !) d'états microscopiques discrets, dont la dynamique au niveau macroscopique rendrait compte des propriétés thermodynamiques des trous noirs.

Pour décrire ces "micro-états", encore faut-il être capable de décrire la gravitation au niveau quantique - un des Saint Graal de la physique théorique moderne, depuis Einstein et Heisenberg. La théorie des supercordes, développée en partie à l'Ecole Normale Supérieure dans les années 70 et qui continue de défier l'intelligence de centaines de physiciens de par le monde, répond à cette question, et donne une description quantitative de la dynamique de ces "micro-états", reproduisant l'entropie de Bekenstein-Hawking au fameux facteur ``un quart'' près. Ce succès, obtenu au milieu des années 90 par Strominger et Vafa à la suite d'énormes progrès dans la compréhension de cette théorie, est même une des principales raisons pour lesquelles une majorité de physiciens théoriciens croient si fort en cette théorie, alors même que son échelle caractéristique, de l'ordre de la longueur de Planck, la rend si difficile à tester dans les accélérateurs de particules.

Si ce succès est un acquis de la théorie des cordes, il se base sur la théorie de la relativité générale d'Einstein-Hilbert, valide aux grandes échelles et en particulier lorsque l'aire de l'horizon est beaucoup plus grande que l'échelle de Planck (en outre, il repose sur l'hypothèse de ``supersymétrie'', ce qui le rend inapplicable de manière directe aux trous noirs d'intérêt astrophysique; cette hypothèse est cependant généralement considérée comme ``technique'' et peut etre relâchée dans certains cas). Un des problèmes qui amène les physiciens à Paris cet été est celui de tester leur compréhension de la dynamique quantique des trous noirs aux plus courtes distances, lorsque le nombre de micro-états n'est plus exponentiellement grand. Des progrès importants ont été accomplis sur cette question au cours des deux dernières années, confirmant la validité de la description ``cordiste'' de manière éclatante.

Ces développements reposent en partie sur des objets appelés ``formes modulaires'', d'un intérêt mathématique considérable - d'où la présence des mathématiciens à cette réunion. Il s'agit de fonctions invariantes sous un groupe infini de symétries discrètes, une vaste généralisation des fonctions périodiques sinusoïdales. Ces fonctions sont déterminées de manière unique par quelques propriétés, et leurs coefficients de Fourier ont la propriété de croître de manière exponentielle (c'est par exemple le cas de la ``fonction de Dedekind'', dont les coefficients comptent le nombre de façons d'écrire un nombre entier comme somme d'entiers distincts). De là à les identifier avec le nombre de micro-états des trous noirs, il n'y a qu'un pas vite franchi, conduisant à un accord remarquable entre les descriptions macroscopique (classique) et microscopique (quantique) de certains trous noirs.

Enfin, si notre perception habituelle du monde qui nous entoure ne révèle que trois dimensions d'espace et une de temps, une des prédictions de la théorie des supercordes, réalisant une spéculation théorique remontant à Kaluza et Klein au début du 20ème siècle, est que nous vivons en réalité dans un monde de dimension plus élevée (10, 11 ou peut-être 26) dont certaines dimensions sont si courbées qu'elles échappent à notre perception. Dans ces conditions, il est naturel de considérer l'extension des trous noirs en dimension supérieure. L'étude de cette question montre qu'il existe une variété bien plus grande d'``objets noirs'', l'espace-temps à 4+1 dimensions supportant par exemple l'existence de ``cordes noires'', ``anneaux noirs'' ou encore ``Saturnes noirs'', également pourvus de propriétés thermodynamiques, dans certains cas expliquées quantitativement par la théorie des cordes. Mieux, la relation entre objets noirs en dimension 5 et trous noirs en dimension 4 conduit à certaines identités sur les fonctions modulaires, qui avaient échappé jusqu'ici aux mathématiciens !

Si ces progrès confortent la validité de la théorie des cordes, ils laissent encore bien des questions sans réponse, la plus pressante peut-être étant de réconcilier la supersymétrie avec la phénoménologie observée dans les accélérateurs de particules. Dans l'attente d'une confirmation possible au Large Hadron Collider de Genève, les physiciens ont beaucoup d'autres questions à méditer, et peuvent compter sur un été parisien riche en avancées théoriques.

Organisateurs:

Iosif Bena (SPhT, CEA),
Eugène Cremmer (LPTENS, CNRS),
Atish Dabholkar (LPTHE, CNRS),
Bernard Julia (LPTENS, CNRS),
Elias Kiritsis (CPHT, CNRS),
Boris Pioline (LPTHE & LPTENS, CNRS),
Gabriele Veneziano (Collège de France)


Contact Presse:
Boris Pioline, pioline[at]lpthe[dot]jussieu[dot]fr


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